null

 

En 2021, nous avons mené une enquête en ligne auprès des personnes porteuses de trisomie 21. L’objectif de cette enquête intitulée « moi, ma vie et mon travail » était de permettre de mieux comprendre le devenir et les parcours de vie des personnes avec trisomie 21 : études, travail, loisirs et vie sociale.

Douze associations départementales en lien avec la trisomie 21 ont accepté de diffuser le questionnaire d’enquête auprès de leurs adhérents : 1. Enfant Soleil 01 (Ain) 2. Chromosome surprise & co (Isère) 3. Rien qu’un chromosome en + (Loire-Atlantique), 4. Trisomie 21 Moselle 5. Trisomie 21 Vendée 6. Trisomie 21 Hauts de Seine 7. Trisomie 21 Rhône et Métropole de Lyon 8. Trisomie 21 Vosges 9. Trisomie 21 Eure Prépare Toit 10. Trisomie 21 Deux Sèvres 11.Trisomie 21 Côtes d’Armor 12. L’A.G.I.P.H.T 21 (Guadeloupe). Par ailleurs, 5 autres associations ont relayé cette enquête sur les réseaux sociaux : 1. l’Arist (Isère) 2. Trisomie 21 Bouches du Rhône 3. Trisomie 21 Calvados 4. Trisomie 21 Haute Garonne 5. Trisomie 21 Pyrénées Atlantiques. Nous avons également diffusé le questionnaire d’enquête auprès de 4 groupes de soutien et d’échanges concernant la trisomie 21 (4 groupes fermés sur Facebook : « T21 Connection », « partages et échanges sur la trisomie 21 », « Trisomie 21.3 » et « Trisomie au quotidien »).

Entre le 14 août et le 25 septembre 2021, 89 personnes ont répondu à notre enquête. Deux questionnaires n’ont pas été retenus car ils avaient été remplis par des personnes travaillant dans le domaine du handicap (ex : éducateur spécialisé) plutôt que par des personnes porteuses de trisomie 21. Un autre questionnaire concernant une personne avec trisomie 21 a par ailleurs été écarté en raison d’une incohérence trop importante entre les différentes réponses au questionnaire. Nous avons en revanche choisi de retenir 3 questionnaires remplis par des personnes adhérentes d’associations en lien avec la trisomie 21 mais ayant vraisemblablement une déficience intellectuelle autre que la trisomie 21. Nous avons donc retenu 86 questionnaires pour analyse.

Dans la plupart des cas (93%), les répondants ont rempli le questionnaire avec l’aide d’un parent. Les répondants sont des hommes dans 53,5% des cas et des femmes dans 46,5% des cas. Près de 60% des répondants ont 25 ans ou moins. Seuls 10,5% des répondants ont plus de 40 ans (figure 1).

Diagramme circulaire concernant l'âge des répondants
Figure 1

1. Le devenir des personnes ayant la trisomie 21 ou une déficience intellectuelle

 1.1. Education

Parmi l’ensemble des répondants :

  • 85 (près de 99%) ont été en maternelle,
  • 48 (près de 56%) ont été à l’école élémentaire,
  • 34 (près de 40%) ont été au collège,
  • 20 (environ 23%) ont été jusqu’au lycée.

Plus de 66% des répondants sont allés en IME à l’issue de leur parcours en milieu ordinaire (âge moyen d’entrée de 10,01 ans avec un âge d’entrée compris entre 3 et 16 ans).

Près de 10,5% des répondants ont interrompus leur scolarité en milieu ordinaire avant le lycée sans pour autant intégrer un IME : 4 personnes dès la maternelle, 1 personne après un parcours en école élémentaire et 4 personnes après une scolarisation en collège. Pour ces personnes, le questionnaire d’enquête ne permet pas de distinguer entre une éventuelle déscolarisation totale et le choix de l’instruction en famille (IEF).

12,8% des répondants ont un diplôme. Les diplômes les plus fréquemment obtenus (figure 2) sont le CAP (36.4%) et le certificat de formation générale (CFG).

diagramme circulaire concernant le type de diplômes obtenus
Figure 2

1.2. Emploi

40,7% des répondants ont un travail actuellement. Le pourcentage de répondants ayant un travail actuellement atteint 53% si l’on exclut les personnes sans emploi qui sont encore en IME (y compris les personnes de 20 à 24 ans relevant de l’amendement Creton) ou au lycée. Au total, 79% des répondants souhaitent travailler.

Les répondants travaillent plus fréquemment en ESAT (57%) qu’en milieu ordinaire (43%).

1.2.1. Les personnes occupant un emploi en milieu ordinaire

Les personnes travaillant en milieu ordinaire (figure 3) sont le plus souvent en CDI (60%) ou en CDD (20%).

Diagramme circulaire concernant le type de contrat de travail en milieu ordinaire
Figure 3

Elles occupent le plus souvent un emploi à temps partiel. Ainsi près de 87% d’entre elles travaillent moins de 30h par semaine et plus de 50% d’entre elles travaillent moins de 20h par semaine (figure 4).

Histogramme concernant le temps de travail hebdomadaire pour les répondants travaillant en milieu ordinaire
Figure 4

Près de 80% des répondants qui ont un emploi en milieu ordinaire travaillent dans un de ces 3 secteurs d’activité (figure 5) : 1. l’hôtellerie/restauration 2. la propreté, l’entretien ou la blanchisserie 3. le conditionnement ou la manutention. L’hôtellerie/restauration est, de loin, le secteur d’activité le plus fréquemment cité (66,6%).

Histogramme de l'emploi en milieu ordinaire selon le secteur d'activité
Figure 5

93% des répondants travaillant en milieu ordinaire aiment bien leur travail (contre 7% qui n’aiment pas toujours leur travail) et 80% d’entre eux apprécient leurs collègues de travail (alors que 20% ne les apprécient pas toujours). 20% des répondants indiquent par ailleurs avoir envie de changer de travail.

1.2.2. Les travailleurs d’ESAT

Les usagers d’ESAT travaillent fréquemment à temps plein1. Ainsi parmi les répondants, 60% des usagers d’ESAT travaillent plus de 30h par semaine (figure 6). Seuls 15% d’entre eux travaillent moins de 20h par semaine.

Histogramme concernant le temps de travail hebdomadaire pour les répondants travaillant en ESAT
Figure 6

Les répondants qui sont en ESAT travaillent tous dans un de ces 3 secteurs d’activité (voir figure 7) : 1. l’hôtellerie/restauration 2. la propreté, l’entretien ou la blanchisserie 3. le conditionnement ou la manutention. Le conditionnement ou la manutention est le secteur d’activité le plus fréquent (75%) suivi par le secteur propreté, entretien, blanchisserie (15%).

Histogramme montrant le pourcentage de travailleurs en ESAT selon le secteur d'activité
Figure 7

80% des répondants travaillant en ESAT indiquent apprécier leur travail (contre 20% qui n’aiment pas toujours leur travail) et 47% d’entre eux apprécient leurs collègues de travail (alors que 53% ne les apprécient pas toujours). 15% des répondants indiquent avoir envie de changer de travail et 20% en ont parfois envie.

1.3. Lieux de vie, vie sociale, loisirs

1.3.1. Lieux de vie

73,2% des répondants habitent avec leurs parents ; 12,8% vivent seuls, en couple ou en colocation ; 14% résident en foyer (ou en internat). Si l’on exclut les personnes qui sont encore en IME ou au lycée, ces taux sont respectivement de 67%, 16,5% et 16,5%. Ces chiffres sont comparables à ceux d’une précédente enquête qui indiquait que 30% des personnes avec trisomie 21 de 20 ans et plus n’habitaient pas avec leurs parents2.

1.3.2. Vie sociale

73,3% des répondants sont célibataires actuellement, 22,1% ont un(e) petit(e) ami(e), 3,5% sont fiancé(e)s et 1 répondant (1,1%) est marié. Plus de 51% des répondants ont déjà eu au moins une relation amoureuse.

16,2% des répondants indiquent avoir beaucoup d’amis alors que 19,8% n’ont pas d’amis. La majorité des répondants (64%) indiquent avoir quelques amis.

1.3.3. Loisirs

Au niveau des loisirs, les 10 activités préférées des répondants sont les suivantes :

  1. Ecouter de la musique : 86%
  2. Regarder la télé : 64%
  3. Surfer sur Internet : 60,5%
  4. Chanter : 60,5%
  5. Faire un bon repas : 55,8%
  6. Faire du sport : 52,3%
  7. Jouer à des jeux (jeux de société, jeux de cartes, jeux vidéo) : 51,2%
  8. Faire la cuisine : 46,5%
  9. Dormir, se reposer : 44,5%
  10. Faire des balades, se promener : 43%

Les autres activités fréquemment évoquées incluent : faire du shopping (29%), faire des rencontres (24,4%), lire (23%), jouer d’un instrument de musique (23%) et bricoler/jardiner (17,4%).

Les données présentées jusqu’à présent ne sont pas nécessairement représentatives de l’ensemble des personnes ayant une trisomie 21 ou une déficience intellectuelle. En effet, le nombre de répondants est limité. Par ailleurs, 76% des répondants sont adhérents d’une association en lien avec la trisomie 21. Enfin, les répondants âgés de 25 ans ou moins sont largement surreprésentés dans cette enquête (figure 1). Il serait donc utile que des enquêtes de plus grande ampleur soient menées. Ces données globales permettent néanmoins de donner une idée du devenir des personnes ayant la trisomie 21 ou une déficience intellectuelle à l’âge adulte : ainsi environ 50% des répondants travaillent, soit en milieu ordinaire (dans 43% des cas), soit en ESAT (dans 57% des cas). Si la grande majorité des répondants ayant complété leur éducation habitent encore chez leurs parents (67%), une part non négligeable résident dans leur propre logement (16,5%) ou en foyer (16,5%). Plus de 50% des répondants ont déjà eu une relation amoureuse et plus d’un quart sont en couple actuellement. Plus de 80% d’entre eux indiquent avoir quelques amis ou beaucoup d’amis. Leurs loisirs sont variés et leurs préférences dans ce domaine ne diffèrent guère des préférences de tout un chacun.

Toutefois, cette présentation globale des données ne nous apprend pas grand-chose quant à la diversité des trajectoires individuelles. Dans la section suivante, nous nous proposons donc d’analyser le devenir des personnes ayant une trisomie 21 ou une déficience intellectuelle au regard de leur parcours scolaire. Il s’agit donc de tenter d’évaluer l’impact de l’éducation sur la vie sociale et professionnelle des répondants.

2. Parcours scolaire et devenir des personnes porteuses de trisomie 21 ou ayant une déficience intellectuelle

2.1. Les personnes ayant intégré un IME

57 répondants (66%) ont intégré un IME. Parmi eux, 31,6% ont un travail actuellement. 17% des travailleurs dans cette catégorie ont un emploi en milieu ordinaire alors que 83% d’entre eux travaillent en ESAT. Au total, plus de 72% des répondants ayant été en IME souhaitent travailler mais ils ne sont que 40% à avoir déjà travaillé.

Seuls 5,25% des répondants dans cette catégorie habitent seuls, en couple ou en colocation ; 19,25% résident en foyer et plus de 75,5% habitent chez leurs parents. Plus d’un quart d’entre eux ont un(e) petit(e) ami(e) et 47% ont déjà eu au moins une relation amoureuse. Alors que la plupart des répondants ont quelques amis (58%) ou beaucoup d’amis (19%), un pourcentage non négligeable indiquent ne pas avoir d’amis (23%).

Ces chiffres globaux masquent cependant une nouvelle fois des trajectoires très différentes selon le profil des répondants et en particulier selon leur âge d’entrée en IME. Nous proposons donc de distinguer 2 sous-groupes de répondants : ceux qui ont intégré l’IME avant l’âge de 12 ans et ceux qui n’ont été en IME qu’à partir de 12 ans ou plus.

2.1.1. Les personnes ayant intégré un IME avant l’âge de 12 ans

33 répondants (38,3%) ont intégré un IME avant l’âge de 12 ans. Parmi eux, seuls 9% ont un travail actuellement. Ce pourcentage atteint 14% si l’on exclut les personnes qui ne travaillent pas mais qui sont encore en IME (y compris 5 personnes de 20 à 24 ans relevant de l’amendement Creton). Moins d’un quart des répondants dans cette catégorie ont déjà travaillé. L’ensemble des personnes qui ont un travail actuellement sont usagers d’ESAT. Au total, plus de 63% des répondants souhaitent travailler (mais seulement 48% si l’on exclut les personnes qui sont encore en IME). Il existe donc, dans tous les cas, un écart important entre le pourcentage de personnes qui souhaitent travailler et le pourcentage de personnes qui travaillent effectivement.

Les personnes qui travaillent en ESAT travaillent dans le conditionnement et la manutention (2 répondants sur 3) ou en blanchisserie (1 répondant sur 3). Ces personnes aiment bien leur travail, 2 répondants sur 3 apprécient leurs collègues de travail (contre 1/3 qui ne les apprécie pas toujours) et 1 répondant sur 3 a envie de changer de travail.

75% des répondants dans cette catégorie habitent chez leurs parents et 25% résident en foyer (ou en internat). Ces chiffres sont de 71% et 29% respectivement si l’on exclut les personnes qui sont encore en IME. 27% des répondants ont un(e) petit(e) ami(e) alors que les autres sont célibataires. Au total, près de 40% des répondants ont déjà eu au moins une relation amoureuse.

Alors que 21% des répondants dans cette catégorie indiquent avoir beaucoup d’amis, plus de 33% déclarent ne pas avoir d’amis.

24% des répondants dans cette catégorie n’ont pas de travail, pas d’amis et n’ont encore jamais eu de relation amoureuse. Ces personnes, qui apparaissent très isolées socialement, ont pourtant elles aussi des besoins et des aspirations et certaines d’entre elles peuvent traverser des moments de solitude ou de détresse : « J’aimerais travailler, avoir des amis, mais je ne sais pas à qui demander, quoi demander, je suis très seul, aidez-moi ».

2.1.2. Les personnes ayant intégré un IME entre 12 et 16 ans

24 répondants (27,9%) ont intégré un IME entre 12 et 16 ans. Une répondante (4,1%) a obtenu 1 diplôme : il s’agit d’un certificat d’aptitude délivré par une maison familiale rurale (MFR). Nous ne sommes pas en mesure de préciser s’il s’agit d’un diplôme de CAP ou d’un autre diplôme. Parmi ces répondants, plus de 62% ont un travail actuellement. Ce pourcentage atteint 79% si l’on exclut les personnes qui ne travaillent pas mais qui sont encore en IME (y compris 4 personnes de 20 à 24 ans relevant de l’amendement Creton). 20% des travailleurs dans cette catégorie ont un emploi en milieu ordinaire alors que 80% d’entre eux travaillent en ESAT. Au total, plus de 83% des répondants dans cette catégorie souhaitent travailler (95% si l’on exclut les personnes qui sont encore en IME). Il existe donc un écart relativement faible entre le pourcentage de personnes qui souhaitent travailler et le pourcentage de personnes qui travaillent actuellement.

83% des travailleurs dans cette catégorie aiment bien leur travail. 64% apprécient leurs collègues de travail et 29% indiquent avoir envie de changer de travail. Une transition de l’ESAT vers le milieu ordinaire est parfois possible comme l’indique un des répondants : « Je travaille actuellement en ESAT mais une convention vient d’être mise en place pour que j’intègre une entreprise de prêt à porter en milieu ordinaire ». Selon les statistiques officielles, ce type de transition n’est cependant pas très fréquent : le taux de sortie d’ESAT vers le milieu ordinaire n’est ainsi que d’environ 0,47% par an1.

75% des répondants ayant intégré un IME entre 12 et 16 ans habitent chez leurs parents, 12,5% habitent seuls, en couple ou en colocation et 12,5% résident en foyer d’hébergement pour travailleurs handicapés. Ces pourcentages sont respectivement de 68%, 16% et 16% si l’on exclut les personnes qui sont encore en IME. 21% des répondants ont un(e) petit(e) ami(e) actuellement et un répondant est fiancé (4%) alors que les autres (75%) sont célibataires. Au total, plus de 55% des répondants indiquent avoir déjà eu au moins une relation amoureuse.

L’immense majorité des répondants dans cette catégorie indiquent avoir quelques amis (75%) ou beaucoup d’amis (17%). Seuls 8% d’entre eux déclarent ne pas avoir d’amis.

2.2. Les personnes ayant été au lycée

20 répondants (23,2%) ont été au lycée. Il convient de noter que nous ne faisons pas de distinction dans le cadre de cette enquête entre une scolarisation en classe ordinaire et une scolarisation via un dispositif d’intégration ou d’inclusion (CLIS, UPI, ULIS, etc.) Parmi ces répondants, 45% ont un diplôme et 70% ont un travail actuellement. Ces pourcentages atteignent respectivement 56% et 82% si l’on exclut les personnes qui ne travaillent pas actuellement mais qui sont encore au lycée. 71,4% des travailleurs dans cette catégorie ont un emploi en milieu ordinaire alors que 28,6% d’entre eux travaillent en ESAT. 100% des répondants dans cette catégorie souhaitent travailler et 95% d’entre eux ont déjà travaillé par le passé. Il existe donc un écart relativement faible entre le pourcentage de personnes qui souhaitent travailler et le pourcentage de personnes qui travaillent effectivement.

86% des travailleurs dans cette catégorie aiment bien leur travail. 57% apprécient leurs collègues de travail (dans le détail, 80% des répondants travaillant en milieu ordinaire apprécient leurs collègues de travail alors que l’ensemble des répondants travaillant en ESAT n’apprécient pas toujours leurs collègues de travail). Seuls 7% des répondants dans cette catégorie indiquent avoir envie de changer de travail.

65% des répondants habitent chez leurs parents, 30% vivent seuls, en couple ou en colocation et 1 seul répondant (5%) réside en foyer d’hébergement pour travailleurs handicapés. Ces pourcentages sont respectivement de 53%, 40% et 7% si l’on exclut les personnes qui sont encore au lycée. 20% des répondants ont un(e) petit(e) ami(e) actuellement, 10% sont fiancés et 1 personne (5%) est mariée alors que les autres (65%) sont célibataires. Au total, 60% des répondants indiquent avoir déjà eu au moins une relation amoureuse.

Une très large majorité de répondants dans cette catégorie indiquent avoir quelques amis (75%) ou beaucoup d’amis (10%). 15% d’entre eux déclarent ne pas avoir d’amis. Les répondants étant encore au lycée indiquent plus fréquemment ne pas avoir d’amis (40%) que les autres (7%). Cela pourrait indiquer que l’inclusion sociale des personnes porteuses de trisomie 21(ou ayant une déficience intellectuelle) au lycée n’est pas toujours facile. Le nombre très limité de répondants étant encore au lycée actuellement (5 répondants) ne permet cependant pas de tirer des conclusions à cet égard.

2.3. Les personnes ayant été déscolarisées ou ayant été instruites en famille

9 répondants (10,5%) ont quitté l’école ordinaire avant le lycée sans pour autant intégrer un IME. Un répondant sur 9 dans cette catégorie a obtenu un diplôme (le BAFA) et 33% ont un travail actuellement en milieu ordinaire (2 répondants sur 3) ou en ESAT (1 répondant sur 3). 60% des répondants ayant fait au moins une partie de leur scolarité à l’école élémentaire ou au collège ont un travail actuellement contre aucun des répondants n’ayant pas poursuivi leur scolarité au-delà de la maternelle. 75% des répondants n’ayant pu accéder à l’école élémentaire (3 répondants sur 4) ont plus de 40 ans et sont originaires du même département (La Guadeloupe). Leur non scolarisation au-delà de la maternelle s’explique peut-être par un contexte propre à ce département à l’époque. Au total, 55% des répondants dans cette catégorie ont déjà travaillé et 78% ont envie de travailler.

L’ensemble des travailleurs dans cette catégorie aiment bien leur travail. 2 répondants sur 3 apprécient leurs collègues de travail (contre 1/3 qui ne les apprécie pas toujours) et aucun répondant n’indique avoir envie de changer de travail. Ces personnes travaillent toutes à temps partiel.

78% des répondants dans cette catégorie habitent chez leurs parents et 22% vivent seuls, en couple ou en colocation. Aucun d’entre eux ne réside en foyer. 1 répondant (11%) a un(e) petit(e) ami(e) actuellement alors que les autres sont célibataires (89%). Au total, 55% des répondants indiquent avoir déjà eu au moins une relation amoureuse.

La plupart des répondants dans cette catégorie indiquent avoir quelques amis (78%) ou beaucoup d’amis (11%). Seul 1 répondant (11%) indique ne pas avoir d’amis.

Comme nous avons pu le constater dans cette section, le parcours scolaire a souvent un impact très important sur la vie sociale et professionnelle des répondants. Pour cette raison, il nous semble intéressant de nous interroger sur l’évolution de l’inclusion/intégration scolaire au cours du temps. Avec l’adoption de la loi handicap de 2005, on peut s’attendre à ceux que les nouvelles générations restent plus longtemps en école ordinaire avec les bénéfices qui en découlent. Qu’en est-il vraiment ? C’est à cette question que nous essaierons d’apporter des éléments de réponse dans la section suivante.

3.Parcours scolaire et intégration sociale selon l’âge des répondants

3.1. Les répondants âgés de plus 40 ans

9 répondants (10,5%) sont âgés de plus de 40 ans. 89% sont allés en maternelle, 44% ont été à l’école élémentaire, 22% sont allés au collège et 11% ont été au lycée. 55% d’entre eux sont allés en IME. Seul 1 répondant (11%) était scolarisé en IME avant l’âge de 12 ans. Toutefois, 33% des répondants n’ont pas été scolarisés ou ont été déscolarisés après la maternelle sans avoir intégré un IME (cf. 2.3).

Parmi les répondants dans cette catégorie d’âge, aucun n’a obtenu de diplôme. 44% travaillent actuellement en ESAT (dans 75% des cas) ou en milieu ordinaire (dans 25% des cas).

Les répondants ayant plus de 40 ans habitent avec leurs parents (78%) ou en foyer (22%). Seuls 33% des répondants ont déjà une relation amoureuse et 33% d’entre eux indiquent ne pas avoir d’amis.

3.2. Les répondants âgés de 31 à 40 ans

10 répondants (11,6%) ont entre 31 et 40 ans. 100% d’entre eux sont allés en maternelle, 70% ont été à l’école élémentaire, 40% sont allés au collège et 30% ont été au lycée. 60% d’entre eux sont allés en IME. 30% avaient intégré un IME avant l’âge de 8 ans et 40% avant l’âge de 12 ans. L’âge moyen d’entrée en IME était de 9,66 ans.

Parmi ces répondants, 30% ont obtenu un diplôme et 60% travaillent actuellement en ESAT (dans 67% des cas) ou en milieu ordinaire (dans 33% des cas).

40% des répondants ayant entre 31 et 40 ans habitent avec leurs parents, 50% vivent seuls, en couple ou en colocation et 1 répondant (10%) réside en foyer. 50% des répondants ont un(e) petit(e) ami(e) et 1 répondant (10%) est marié. L’ensemble des répondants ont beaucoup d’amis (40%) ou quelques amis (60%).

3.3. Les répondants âgés de 26 à 30 ans

16 répondants (18,6%) ont entre 26 et 30 ans. 100% d’entre eux sont allés en maternelle, 68,75% ont été à l’école élémentaire, 62,5% sont allés au collège et 25% ont été au lycée. 62,5% d’entre eux sont allés en IME. Seuls 18,75% d’entre eux avaient intégré un IME avant l’âge de 8 ans et 25% avant l’âge de 12 ans. L’âge moyen d’entrée en IME était de 11 ans.

Parmi ces répondants, 6,25% ont obtenu un diplôme et 75% travaillent actuellement en ESAT (dans 50% des cas) ou en milieu ordinaire (dans 50% des cas).

56% des répondants ayant entre 26 et 30 ans habitent avec leurs parents, 25% vivent seuls, en couple ou en colocation et 18,75% résident en foyer. 25% des répondants ont un(e) petit(e) ami(e) et 12,5% sont fiancés.  68,75% des répondants ont déjà eu une relation amoureuse. La plupart des répondants ont quelques amis (56,25%) ou beaucoup d’amis (31,25%). Seuls 12,5% indiquent ne pas avoir d’amis.

3.4. Les répondants âgés de 21 à 25 ans

23 répondants (26,7%) ont entre 21 et 25 ans. 100% d’entre eux sont allés en maternelle, 61% ont été à l’école élémentaire, 48% sont allés au collège et 22% ont été au lycée. 70% d’entre eux sont allés en IME. 21% d’entre eux avaient intégré un IME avant l’âge de 8 ans et plus de 43% étaient déjà en IME avant l’âge de 12 ans. L’âge moyen d’entrée en IME était de 10,31 ans.

Parmi ces répondants, 17% ont obtenu un diplôme et 43,5% travaillent actuellement en ESAT (dans 60% des cas) ou en milieu ordinaire (dans 40% des cas).

74% des répondants ayant entre 21 et 25 ans habitent avec leurs parents, 1 répondant (4%) vit seul, en couple ou en colocation et 22% résident en foyer. 26% des répondants ont un(e) petit(e) ami(e) et 1 répondant (4%) est fiancé.  56,5% des répondants ont déjà eu une relation amoureuse. La plupart des répondants ont quelques amis (65%) ou beaucoup d’amis (13%). Près de 22% des répondants indiquent ne pas avoir d’amis.

3.5. Les répondants âgés de 16 à 20 ans

28 répondants (32,6%) ont entre 16 et 20 ans. 100% d’entre eux sont allés en maternelle, 46% ont été à l’école élémentaire, 25% sont allés au collège et 25% ont été au lycée. Plus de 71% d’entre eux sont allés en IME. Plus de 32% d’entre eux avaient intégré un IME avant l’âge de 8 ans et 50% étaient déjà en IME avant l’âge de 12 ans. L’âge moyen d’entrée en IME était de seulement 8,95 ans.

Parmi ces répondants, 11% ont obtenu un diplôme et 11% travaillent actuellement en ESAT (dans 33% des cas) ou en milieu ordinaire (dans 67% des cas).

93% des répondants ayant entre 16 et 20 ans habitent avec leurs parents, un répondant (3,5%) habite seul, en couple ou en colocation et un répondant (3,5%) est en internat. 11% des répondants ont un(e) petit(e) ami(e).  32,1% des répondants ont déjà eu une relation amoureuse. La majorité des répondants ont quelques amis (68%) ou beaucoup d’amis (7%). Près de 25% des répondants indiquent ne pas avoir d’amis.

Ces résultats par classe d’âge sont surprenants. Si certaines variables (personnes ayant un travail actuellement, lieux de vie, relations amoureuses, etc.) sont naturellement très dépendantes de l’âge actuel des répondants et donc susceptibles d’évoluer fortement au cours des prochaines années pour les plus jeunes générations cela n’est pas le cas concernant le parcours scolaire ou l’âge d’entrée en IME.

Ainsi alors que l’on observe un allongement important des parcours en école ordinaire pour les 31-40 ans et les 26-30 ans par rapport aux plus de 40 ans, on constate par la suite une diminution de l’accès à l’école élémentaire et au collège pour les 21-25 ans qui s’aggrave fortement pour les 16-20 ans. Cela est d’autant plus surprenant que ces 2 classes d’âge sont en principe celles qui auraient dû être les principales bénéficiaires de la loi handicap de 2005. Et pourtant on constate, pour ces jeunes générations, une diminution du pourcentage de répondants ayant accédé à l’école élémentaire et au collège et en corollaire à une baisse de l’âge moyen d’entrée en IME : 11 ans pour les 26-30 ans, 10,31 ans pour les 21-25 ans et 8,95 ans pour les 16-20 ans. La proportion de répondants ayant déjà intégré un IME avant l’âge de 12 ans qui était de 25% pour les 26-30 ans, atteint ainsi 43,5% pour les 21-25 ans et 50% pour les 16-20 ans. Cette augmentation des entrées en IME avant l’âge de 12 ans devrait avoir des conséquences importantes en termes de vie sociale et d’avenir professionnel : alors que 75% des répondants ayant entre 26 et 30 ans ont un travail, nous estimons que ce pourcentage ne devrait à terme guère dépasser les 50% pour les répondants âgés de 21 à 25 ans et devrait même rester en-deçà de 50% pour les répondants âgés de 16 à 20 ans.

Compte tenu du nombre limité de répondants dans chaque catégorie d’âge, il convient de rester prudent quant à l’interprétation de ces résultats. Il serait ainsi souhaitable que des études de plus grande ampleur soient menées pour confirmer ces résultats. On ne peut cependant que constater que l’adoption de la loi handicap de 2005 ne s’est apparemment pas traduite par un allongement de la durée des parcours en école ordinaire du moins pour les personnes actuellement âgées de 16 à 25 ans.

La reprise des données d’une enquête concernant la scolarisation des personnes porteuses de trisomie 21 menée en 20193 montre d’ailleurs des résultats comparables : 36% des 16-20 ans étaient déjà scolarisés en IME à l’âge de 8 ans et 57% avant l’âge de 12 ans. Seuls 50% des 16-20 ans avaient accédé à l’école élémentaire. Ces mêmes données3 montrent néanmoins une tendance à l’allongement des parcours en école ordinaire pour les plus jeunes générations. Ainsi, seuls 22% des 11-15 ans avait intégré un IME avant l’âge de 8 ans et 36% avant l’âge de 12 ans et plus de 70% d’entre eux avaient accédé à l’école élémentaire. Cependant, comme nous l’avons constaté dans le cadre de la présente enquête, l’inclusion à l’école et dans la société des personnes handicapées ne progresse pas nécessairement de manière linéaire. Les importants problèmes d’accompagnement des élèves handicapés rencontrés depuis la mise en place des PIAL peuvent donc laisser craindre un nouveau retour en arrière.

4.Discussion

Notre enquête a permis de mettre en évidence 3 principaux types de parcours :

  • Parcours 1 : ces personnes sont entrées en IME avant l’âge de 12 ans après un bref parcours en école ordinaire. A la sortie de l’IME, leurs chances de travailler sont très faibles (14%) et ceux qui travaillent le font généralement en milieu protégé. Leur lieu de vie est généralement le domicile des parents, la principale alternative étant la vie en foyer (dans 29% des cas). Ces personnes ont moins de chances d’avoir eu des relations amoureuses (40%) ou d’avoir un ou plusieurs amis (67%) que les personnes dans les autres parcours. Parmi ces personnes, près d’un quart apparaissent très isolées socialement.
  • Parcours 2 : ces personnes sont entrées en IME entre 12 et 16 ans après un parcours en école élémentaire ou au collège ou même, dans près d’un cas sur 3, après une longue période de déscolarisation ou d’IEF à l’issue de la maternelle. A la sortie de l’IME, leurs chances de travailler sont importantes (79%) et ce travail se déroule essentiellement en milieu protégé (80%). Il existe cependant des possibilités de travailler en milieu ordinaire. C’est le cas pour 20% des travailleurs dans cette catégorie. Au niveau du choix de leur lieu de vie, les personnes en parcours 2 ont plus d’opportunités que les personnes en parcours 1 : si 68% d’entre elles habitent avec leurs parents, 16% habitent en foyer d’hébergement pour travailleurs handicapés et 16% disposent de leur propre appartement. Comparées aux personnes en parcours 1, les personnes en parcours 2 ont également plus de chances d’avoir eu des relations amoureuses (55% vs 40%) et d’avoir un ou plusieurs amis (92% vs 67%).
  • Parcours 3 : ces personnes ont poursuivi leur scolarité en milieu ordinaire jusqu’au lycée. A la sortie du lycée, plus de la moitié d’entre elles auront obtenu un diplôme. Leurs chances de trouver un travail sont bonnes (82%). Si la grande majorité d’entre elles travaillent en milieu ordinaire (plus de 71%), une part non négligeable travaillent en milieu protégé (près de 29%). Si obtenir un travail en milieu ordinaire est loin d’être un objectif inaccessible, cela n’est donc pas toujours évident et nécessite souvent un accompagnement dans la recherche d’emploi notamment par le biais des associations4. Au niveau du choix de leur lieu de vie, si une petite majorité de répondants (53%) habitent encore avec leurs parents, ils sont nombreux à avoir un appartement (40%). Seule une petite minorité réside en foyer (7%). Les personnes en parcours 3 sont celles qui ont le plus de chances d’avoir une vie amoureuse épanouie : 60% ont déjà eu au moins une relation amoureuse, 20% ont un(e) petit(e) ami(e) actuellement et 15% sont fiancées ou mariées. Au lycée, il semble parfois difficile pour elles de se faire des amis. Cependant, une fois leur scolarité terminée, 93% d’entre elles indiquent avoir un ou plusieurs amis.

Le parcours 3 représente souvent un idéal pour les personnes porteuses de trisomie 21 ou ayant une déficience intellectuelle. Il y a cependant encore trop peu de personnes qui parviennent à suivre un tel parcours. Et la loi handicap de 2005 n’a semble-t-il pas permis de faciliter les choses : ainsi, plus de 70% des répondants de 16 à 25 ans se sont retrouvés en parcours 1 ou 2.

Il nous semble donc intéressant de nous intéresser plus en détail à ces 2 types de parcours : pourquoi autant de répondants (43% des 21-25 ans et 50% des 16-20 ans) ont-ils été orientés en parcours 1 ? Pourquoi est-il si difficile de trouver un travail pour les personnes en parcours 1 ? Pourquoi les personnes en parcours 2 ne trouvent-elles que rarement un emploi en milieu ordinaire ?

Un rapport conjoint IGEN-IGAENR concernant les unités d’enseignement (UE) dans les établissements médico-sociaux (Rapport sur les UE5) est riche d’enseignement à ce sujet. Nous nous y référerons abondamment.

On pourrait penser que les personnes en parcours 1 sont essentiellement celles qui ont un handicap intellectuel particulièrement important. Toutefois le rapport sur les UE nous apprend que seule une petite minorité d’enfants en IME ont une déficience intellectuelle sévère (10%). Ainsi les personnes ayant une déficience intellectuelle légère (32%) ou modérée (32%) sont bien plus nombreuses au sein des IME5. De fait, la plupart des personnes porteuses de trisomie 21 ont également une déficience intellectuelle légère ou modérée6. On peut donc en déduire que les enfants porteurs de trisomie 21 ou non et ayant une déficience intellectuelle légère ou modérée sont également nombreux à être orientés en parcours 1. Cela est d’autant plus surprenant que diverses études ont mis en évidence les bénéfices d’une scolarisation en milieu ordinaire pour ces enfants7, 8, 9, 10, 11, 12 . Ces études montrent notamment que, pour un même niveau de déficience intellectuelle, les enfants avec trisomie 21 scolarisés en milieu ordinaire développent des compétences académiques et langagières (lecture, expression orale, calculs, etc.) plus importantes que leurs pairs orientés en établissement spécialisé. Une étude néerlandaise a ainsi montré que les enfants porteurs de trisomie 21 et ayant une déficience intellectuelle modérée (QI = 35 – 50) réalisaient plus de progrès en école ordinaire que les enfants avec une déficience intellectuelle légère (QI = 50-70) en établissement spécialisé12.

Une des explications aux résultats de cette enquête néerlandaise tient sans doute au mode de fonctionnement des établissements spécialisés. En France, pour les personnes avec un handicap intellectuel, il s’agit des IME.

Au sein des IME, il existe des unités d’enseignement. Ces unités d’enseignement comptent environ un enseignant pour 20 élèves scolarisés5. Chaque enseignant effectue en principe 24h de cours. Les cours ont lieu en petits groupes de 3, 4 voire 5 enfants5. En supposant que l’enseignant prenne en charge 4 groupes de 5 personnes, le temps moyen de scolarisation n’excède donc pas un maximum de 24/4= 6h par enfant en moyenne.

Le rapport sur les UE note que : « La faible durée de scolarisation hebdomadaire qui découle de ce type d’organisation conduit à s’interroger sur la possibilité effective de conduire les élèves à suffisamment maîtriser les apprentissages fondamentaux pour qu’ils parviennent à une meilleure autonomie et, à terme pour certains, à espérer obtenir une qualification»5. Par ailleurs, le rapport nous apprend que 20% des enfants en IME ne sont pas du tout scolarisés (y compris certains enfants avec une déficience intellectuelle légère).

Le rapport sur les UE déplore par ailleurs un manque d’adaptation lors des séances d’enseignement : ces séances ne sont ainsi généralement pas adaptées au niveau de chaque élève. Le rapport évoque également un manque d’ambition en termes d’apprentissage : « Ces trop faibles ambitions ou stimulations s’ajoutent à un faible temps de scolarité et éloignent les possibilités d’inclusion en cursus ordinaire ou d’accès à une qualification ». Pourtant, comme indiqué dans le rapport : « Certains enfants peuvent être assimilés, par leur langage, leur attitude face à l’école ou leurs potentialités, à des élèves qui fréquentent habituellement les CLIS. »5

Nous pensons que ce mode de fonctionnement et ce manque d’ambition est susceptible de nuire gravement au développement de ces enfants. Et cela permet probablement d’expliquer pourquoi même les enfants ayant un handicap intellectuel modéré (QI = 35-50) parviennent à faire plus de progrès au niveau académique et langagier en école ordinaire que les enfants ayant un handicap intellectuel léger (QI=50-70) en établissement spécialisé12.

Alors certes, ces enfants orientés en IME étaient peut-être en difficultés à l’école au niveau des apprentissages scolaires. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils n’apprenaient rien ou que leur scolarisation en école ordinaire n’avait pas d’effets positifs tant pour eux que pour les autres élèves13. Ainsi, proposer en premier lieu à ces enfants un accompagnement plus important en école ordinaire aurait sans doute constituer une alternative plus appropriée qu’une orientation en IME.

Au vu des résultats de notre enquête et des études précédemment mentionnées7, 8, 9, 10, 11, 12, il est en effet permis de penser qu’une scolarisation en école ordinaire aurait été plus bénéfique pour la plupart de ces enfants. Leur entrée précoce en IME ne leur aura pas permis de développer des compétences suffisantes pour pouvoir ensuite évoluer en milieu ordinaire ou même, dans la plupart des cas, pour pouvoir prétendre travailler en ESAT.

On peut se demander pour quelles raisons ces enfants parfois en difficultés scolaires, parfois juste un peu plus lents que leurs pairs dans les apprentissages se retrouvent si facilement et si rapidement exclus de l’école ordinaire.  Quelles peuvent bien être les justifications de cette mise à l’écart ?

Est-ce pour tenter de mieux les accompagner dans l’apprentissage des savoirs fondamentaux ? Dans ce cas, on peut se demander pourquoi, à leur entrée en IME, au lieu d’être mieux accompagner dans ces apprentissages, ils s’en retrouveront essentiellement exclus5.

Est-ce par préoccupation pour leur bien-être compte tenu de leur plus grande fragilité et face au risque de harcèlement à l’école ? Les élèves handicapés sont effectivement plus susceptibles que les autres élèves de subir un harcèlement verbal et ou physique14. Toutefois, la violence est loin d’être absente des IME. Derrière les murs de ces institutions, cette violence se trouve simplement invisibilisée. De fait, selon les statistiques officielles, les IME représentent probablement pour ces enfants un lieu encore plus dangereux que l’école ordinaire : plus d’un tiers des agressions sexuelles et des viols sur personnes mineures handicapées se produisent dans l’enceinte des IME15.

Alors est-ce par souci de faire des économies ? Comment comprendre qu’encore aujourd’hui des élèves en ULIS école se retrouvent presque systématiquement orientés en IME lorsqu’ils ont besoin d’une aide humaine individuelle pour les accompagner lors des inclusions en classe ordinaire ?  Quelles économies et surtout quels progrès auront ainsi été réalisés ? Un AESH à temps plein (24h) pour un tel élève aurait couté environ 10 000 euros par an (ou 15 000 euros si l’on se décidait enfin à (re)valoriser ce métier essentiel et exigeant). Cet enfant devenu un simple usager d’IME coûtera désormais environ 39 000 euros chaque année16, et ce, peut-être, jusqu’à l’âge de 25 ans compte tenu d’un recours toujours plus fréquent à l’amendement Creton dans un contexte de saturation des ESAT et des foyers de vie1, 5. Pourquoi choisir de le préparer ainsi, dès son plus âge, à une vie de dépendance, de ségrégation ou d’exclusion ?

Nous considérons ainsi qu’une orientation en IME pour un enfant de moins de 12 ans devrait être une orientation de dernier recours, effectuée uniquement à la demande des parents et dans l’intérêt de l’enfant, notamment en cas de souffrances avérées de l’enfant en école ordinaire, et ce, seulement après avoir d’abord tenté de mettre en place toute une gamme de  solutions alternatives (accompagnement humain plus important, formation et accompagnement des enseignants et des AESH, changement d’école, changement d’accompagnant, changement de dispositif, etc.). Une telle orientation devrait par ailleurs toujours être accompagnée d’une obligation de scolarisation au sein des UE selon les préconisations de la CDAPH. Actuellement, cela n’est pas le cas. Le rapport sur les UE précise ainsi que ces enfants arrivent généralement en IME « sans projet personnalisé de scolarisation » et « sans même une prescription faisant état de leurs besoins de formation »5.

Concernant les personnes qui entrent en IME entre 12 et 16 ans (parcours 2), la situation apparait a priori moins problématique : d’une part la plupart d’entre elles pourront travailler si elles le souhaitent. D’autres part ces personnes se retrouveront beaucoup plus rarement isolées socialement à leur sortie de l’IME. Toutefois, on peut quand même se demander si cette meilleure intégration est le résultat de leur orientation en IME ou simplement la conséquence naturelle de leurs parcours plus longs en école ordinaire ou en IEF. Que leur aura réellement apportée leur orientation en IME ?

Au niveau des apprentissages scolaires, le rapport sur les UE note que « Les temps de scolarisation se réduisent progressivement à partir de 12 ou 14 ans et la responsabilité de l’équipe pédagogique, limitée aux apprentissages fondamentaux, ne s’étend qu’exceptionnellement à la formation professionnelle » et que « Cette réduction presque systématique de la scolarisation ne peut pas être sans effet sur le maintien des acquis des élèves qui peuvent être parvenus après trois ans en CLIS à un certain niveau de lecture, à des connaissances sur le monde, à des habitudes de travail. Quand on passe de 24 à une dizaine d’heures en classe, souvent après une pause liée à une transition difficile, la perte de certains savoirs ou savoir‐faire paraît inévitable »5. Donc on l’aura compris, au niveau des savoirs fondamentaux, l’entrée en IME se traduit généralement par une régression.

Au niveau de la formation professionnelle, le rapport sur les UE note et regrette « l’absence de l’éducation nationale dans la formation professionnelle de ces jeunes ». Le rapport indique par ailleurs que : « les modes d’organisation de la formation professionnelle observés sont généralement pensés dans le cadre éducatif et non pas scolaire et ces formations sont plutôt « tournées » vers l’intégration sociale et professionnelle dans le secteur « adapté ». Ainsi, bien que les ESAT soient saturés, les tentatives d’insertion dans le milieu ordinaire semblent exceptionnelles. De la même manière, les coopérations « IMPro/LP » sont rares, compte tenu sans doute de cette représentation très sociale et éducative de la formation préprofessionnelle »5. La formation professionnelle en IME ne prépare donc, le plus souvent, qu’à intégrer les ESAT, et ce, dans un contexte où les ESAT sont saturés. Cela permet cependant de mieux comprendre le faible pourcentage de répondants travaillant en milieu ordinaire après avoir intégré un IME. Il s’agit-là d’un choix institutionnel qui limite de fait, pour l’ensemble des usagers d’IME quelles que soient leurs capacités, les opportunités d’évoluer en milieu de travail ordinaire.  Cela explique aussi probablement pourquoi il sera si difficile pour les personnes en parcours 1 d’intégrer un ESAT. De toute évidence, la concurrence des adolescents en parcours 2 limite leurs opportunités. Il faut par ailleurs noter que les liens historiques entre les IME et les ESAT se sont largement distendus au cours des dernières années. De nos jours, les sortants d’IME ne représentent ainsi que 28% des nouvelles entrées en ESAT1.

A part le manque de places en ULIS au collège et au lycée et l’existence de places disponibles en IME, qu’est-ce qui peut donc permettre de justifier l’orientation de ces adolescents en IME ? Le rapport sur les UE s’interroge sans toutefois parvenir à obtenir une réponse satisfaisante à cette question : « Comment est établie la distinction entre l’élève maintenu en CLIS ou en ULIS porteur d’une déficience intellectuelle légère et celui qui, porteur de la même déficience, est orienté vers l’IME alors qu’il « lit sans difficulté » ? En l’état, la mission n’a pas recueilli de réponse satisfaisante à cette question, si ce n’est la prise en compte des places disponibles dans l’une ou l’autre structure »5. Quant à nous, il nous semble que la différence entre une orientation en parcours 2 ou en parcours 3 a probablement assez peu de rapport avec les capacités de ces adolescents. Avant même le collège, la plupart des familles se seront vues proposer ou notifier une orientation en IME (parcours 1 ou 2). Toutefois, certains parents sont socialement, culturellement et/ou économiquement mieux équipés pour résister aux pressions institutionnelles. Certaines familles sont ainsi probablement plus à même d’accompagner et de défendre les droits et les intérêts de leur enfant lui donnant ainsi plus de chances de poursuivre son parcours en école ordinaire17. Il faut noter que, même pour ces familles, rien n’aura été facile pour autant. De fait, divers témoignages confirment les immenses difficultés rencontrées afin de pouvoir permettre à un enfant ayant une déficience intellectuelle, même légère, de poursuivre l’ensemble de sa scolarité en milieu ordinaire18, 19.

Pour résoudre le problème de la formation professionnelle en IME et favoriser l’emploi en milieu ordinaire, le rapport sur les UE évoque la possibilité de renforcer la coopération entre les IME et les lycées professionnels (LP) tout en s’inquiétant des coûts supplémentaires que le développement de ces coopérations pourrait engendrer5. Mais ne sommes-nous pas déjà là en train de chercher à réinventer la roue ? Ne serait-il pas plus simple, moins coûteux et plus efficace de créer davantage de places en ULIS au collège et surtout dans les lycées (professionnels et généraux), véritable plafond de verre pour les élèves handicapés17 (avec ou sans déficience intellectuelle), et de ne plus orienter ces adolescents en IME en premier lieu ?

Même lorsque l’on compare les répondants en parcours 2 avec les quelques répondants ayant été déscolarisés à l’école primaire ou au collège, les bénéfices d’une orientation en IME ne paraissent pas évidents, La proportion de personnes ayant un travail est certes un peu plus importante en parcours 2 (79% vs 60%). Toutefois, les répondants déscolarisés occupent plus fréquemment un emploi en milieu ordinaire (67% vs 20%) et habitent plus souvent dans leur propre appartement (22% vs 16%).

5.Conclusion

L’IME est souvent présenté comme étant la structure la mieux adaptée pour les enfants ayant une déficience intellectuelle. Toutefois, le rôle des IME n’est pas seulement d’accueillir, pour un temps, ces enfants évincés de l’école ordinaire mais également de les aider à préparer leur avenir. Or, les résultats de cette enquête montrent que les modalités d’organisation des unités enseignements et de la formation professionnelle au sein des IME limitent fortement les opportunités d’avenir de ces enfants et adolescents. A tout âge, l’entrée en IME se traduit ainsi par une perte de chances importante pour les personnes porteuses de trisomie 21 ou ayant une déficience intellectuelle. Aucun bénéfice lié à cette orientation n’a pu être clairement identifié dans le cadre de cette enquête. Pour cette raison, nous pensons que l’école ordinaire, de par les opportunités d’avenir qu’elle peut offrir à ces enfants est, sans doute possible, la structure la mieux adaptée.

Cela ne signifie pas pour autant que les conditions actuelles de scolarisation sont satisfaisantes. Pour que ces enfants et adolescents, qui étaient jusque-là orientés en IME, soient enfin à leur place au sein de l’école de la République, il faut que, au-delà des discours et des éléments de langage, l’école devienne réellement inclusive. Si tant d’enfants se retrouvent si rapidement écartés de l’école ordinaire, c’est parce que l’on attend trop souvent d’eux qu’ils s’adaptent aux exigences de l’école sans pour autant mettre en place les compensations nécessaires. Faire en sorte que l’école ordinaire puisse bénéficier à l’ensemble des enfants handicapés suppose un profond changement de mentalités au sein de l’Education Nationale et la mise en place de moyens appropriés. Transformer l’école pour qu’elle s’adapte enfin aux besoins des enfants handicapés impliquera probablement, à terme, la fermeture des IME et la réallocation des moyens à disposition du secteur médico-social vers l’école. Un premier pas dans la bonne direction pourrait être la mise en place d’un moratoire sur les admissions en IME pour les enfants de moins de 12 ans.

Cependant, ce processus de désinstitutionalisation ne bénéficiera pleinement aux personnes handicapées que s’il est accompagné d’une réelle volonté politique d’inclure ces personnes au sein de la société, de les écouter, de les accompagner et de leur permettre d’exprimer leurs besoins et leurs revendications. A cet égard, l’éventuelle « déconjugalisation » de l’AAH, réclamée – non sans raison – par de nombreuses associations de personnes handicapées, aurait une valeur symbolique importante. La longue marche vers une société réellement inclusive ne pourra se faire qu’avec les personnes handicapées. Pas sans elles. Encore moins contre elles. Alors, en marche ?

Références

1 Les établissements et services d’aide par le travail, B.Jacquey et A.Laurent (IGAS), avec le concours de C.Laidi, assistante de mission – Q.Jagorel et D.Lajoumard (IGF), avec le concours de P.Momboisse, assistant de mission (octobre 2019)

Parents’ perspective on having a child with Down Syndrome in France, Remi Bertrand, American Journal of Medical Genetics Part A (March 2019)

3 La scolarisation des enfants porteurs de trisomie 21 en France, Remi Bertrand (décembre 2019)

Enquête « moi et le monde du travail », Trisomie 21 France (novembre 2020)

Les unités d’enseignement dans les établissements médico‐sociaux et de santé, rapport conjoint IGEN-IGAENR (décembre 2014)

Health supervision for children with Down’s syndrome, American Academy of Pediatrics. Pediatrics 2001; 107: 442–9

Language and Memory Development in Children with Down Syndrome at Mainstream Schools and Special Schools: A comparison, Glynis Laws, Angela Byrne & Sue Buckley (2000), Educational Psychology, 20:4, 447-457, DOI: 10.1080/713663758

A comparison of mainstream and special education for teenagers with Down syndrome: implications for parents and teachers, Buckley S, Bird G, Sacks B, Archer T., Downs Syndr Res Pract. 2006 Jun;9(3):54-67. doi: 10.3104/reports.295. PMID: 16869376.

Effects of regular versus special school placement on students with Down syndrome: A systematic review of studies, de Graaf, G., van Hove, G., & Haveman, M. (2012). New Developments in Down Syndrome Research, 45–86.

10 More academics in regular schools? The effect of regular versus special school placement on academic skills in Dutch primary school students with Down syndrome, de Graaf G, van Hove G, Haveman M., J Intellect Disabil Res. 2013 Jan;57(1):21–38.

11 Learning to read in regular and special schools: A follow up study of students with Down Syndrome, de Graaf, G., van Hove, G. (2015), Life Span and Disability, 18, 7–39

12 Development of self-help, language, and academic skills in persons with Down syndrome, de Graaf, G., & de Graaf, E. (2016), Journal of Policy and Practice in Intellectual Disabilities, 13(2), 120–131. doi: 10.1111/jppi.12161

13 L’école inclusive peut-elle profiter à tous les élèves ? Caroline Desombre, The Conversation (janvier 2020)

14 Les taux de harcèlement sont plus élevés pour les enfants souffrant d’un handicap, UNESCO (septembre 2021)

15 Les personnes handicapées sont plus souvent victimes de violences physiques, sexuelles et verbales, Éva Baradji (DREES), Olivier Filatriau (Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, SSMSI), ÉTUDES ET RÉSULTATS, N° 1156 (juillet 2020)

16 Combien coûte une place dans un établissement pour personnes handicapées ? Franck Seuret, 22 août 2018

17 Un atlas des fractures scolaires en France – École et handicap (2019)

18 Victor ou le parcours « ordinaire » d’un garçon « extraordinaire », Marie-Christine Arban (octobre 2018)

19 Triso et alors ! Eléonore Laloux, éditions Max Milo (2014)

0 0 votes
Évaluation de l'article

Partagez sur vos réseaux!

1 Commentaire
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
trackback

[…] Trisomie21 France (avec des associations locales dans presque tous les départements) et notamment son enquête sur l’autonomie une fois adulte ici […]